Prévenu par un message de sa fille
Muriel à Marie Jo alors que je m’inquiétais depuis quelques temps, je suis allé
voir Georges interné, officiellement en séjour de réadaptation, au Domaine de
Collongue, une maison de retraite médicalisée sur la route de Vauvenargues. Il
ne pouvait plus rester seul chez lui bien qu'une personne s'occupait de lui
tous les jours. Il se négligeait.
Georges, un ami de quarante ans, a
été un de mes premiers patients au Centre médical Mirabeau en 1975, il m’a
introduit à la Vie Nouvelle alors que nous venions à peine de nous installer en
famille à Aix.
Georges était enseignant en Histoire
à la Fac d’Aix, un des sommets de sa vie professionnelle a été la réception de
sa thèse sur les outils agricoles du Moyen Age, thèse passée devant un jury
présidé par le célèbre historien, son maitre, Georges DUBY.
Georges était mon meilleur ami de
l’époque. Lui, très engagé dans de multiples cercles socio politiques, semblait
apprécier mon toucher thérapeutique, ma compagnie moins intellectuelle que son
ordinaire. Je me souviens l'avoir entrainé, lui pas particulièrement à l'aise
avec son corps, dans telle ou telle expérience peu classique mais
exceptionnelle. En revanche il me transmettait des blagues "spirituelles", des blagues de fac (en 2002 : "Séminaire pour hommes")
Nos enfants du même âge, Christophe
et Olivier jusqu’à son accident en 86, faisaient une belle équipe. Ils étaient souvent fourrés
ensemble. Olivier avait la désagréable habitude de claquer la porte derrière
lui quand il partait, détail que Georges a rappelé lors des obsèques mémorables
dans la petite chapelle de Célony. Olivier est mort à 20 ans et ses copains ont
fait une cérémonie dansante pour lui dire adieu. Georges m’a accompagné aussi à
Cheval Blanc reconnaître les débris de la voiture qui, à Lambesc, avait été
broyée par le camion sur la Nationale 7.
Georges est encore vivant mais ce
n’est plus lui, on dirait qu’il est déjà parti. Il semble déconnecté. Ces
derniers temps, quand il arrivait par surprise à la maison avec sa petite
voiture sans permis, il ne restait que quelques minutes, ne faisant que passer
annonçait il. Il disait perdre la mémoire. Mardi dernier, au Domaine de
Collongue, il a semblé me reconnaître :
« Tiens ! Que viens tu
faire ici ? »
« Je viens te voir ». Pas
de réaction.
Deux minutes après, même question,
même réponse, même passivité.
Il était descendu de sa chambre pour
participer à une animation chant qui avait lieu dans le salon d’accueil où nous
étions. Donc après quelques échanges de banalités auxquelles il répondait par
oui ou par non, « Tu as une chambre seul ? Tu es bien installé ?
Les voisins sont sympathiques ? » il me laisse sans un mot et va
s’installer près du groupe en attente de chanter. Apparemment déçu au bout de
quelques minutes il repasse devant moi et se dirige vars l’ascenseur pour
monter dans sa chambre. Je le rejoins, avant que la porte se referme, pour lui
dire au revoir. Un petit signe en réponse et il disparaît. Je reste sidéré un
moment et repars sous la pluie et dans le froid.
Georges. Quelle fatalité
l’accable ! Depuis la maladie de Sylvette il n’a pas cessé de décliner,
incapable, semble t il, de parler de lui, de ce qu’il vit, de ce qu’il ressent,
de ce qu’il pense. Je relis les blagues qu’il pêchait sur Internet et qu’il
m’envoyait en 2005. Il s’est mis ensuite à fumer, à boire peut être et à faire un
disque pendant des années, sur le Moyen Age. L'a t il réalisé ? ...
Ce que je sais c'est que je suis allé
voir Georges et ne l'ai pas rencontré.